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page46- la force de la relation entre mères et sages-femmes

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LA FORCE DE LA RELATION entre les MERES et les SAGES-FEMMES

    Parcourir l'histoire des sages-femmes entre le bonheur partagé avec les mères et l'oubli collectif par le public, entre la médicalisation de la naissance et l'absence de prospectives prioritaires pour une politique de santé périnatale, ne serait pas suffisant si je n'attirais l'attention sur une observation fondamentale. J'ai toujours regretté que les historiens, les médias, s'ils racontent comment, globalement, la sage-femme s'est « rendue» ou s'est « fait avoir », ne racontent jamais comment des sages-femmes essayent courageusement de « dé-masquer» leur profession pour en retrouver l'essentiel. On peut citer un exemple récent.

Le xxe siècle des sages-femmes est présenté par Florence Montreynaud en dévalorisation, éviction, dépossession.

    Dans le livre Le XXe Siècle des femmes de Florence Montreynaud, il est dit (p. 296) que « la tendance au monopole des obstétriciens [sur la naissance] se traduira par l'augmentation des actes chirurgicaux (épisiotomies et surtout césariennes) et la dévalorisation voire l'éviction des sages-femmes. Qu'au Canada, la profession devient illégale dans les années 1940. Qu'en France, elle est réglementée par une loi de 1892 qui interdit aux sages-femmes l'utilisation du forceps. Leur rôle reste prépondérant dans l'accouchement mais chaque amélioration technique les dépossède un peu plus ». On peut donc remarquer que le xxe siècle des sages-femmes est présenté par Florence Montreynaud en dévalorisation, éviction, dépossession.
    Et si dans ce livre on parle à nouveau des sages-femmes (p. 653), c'est pour rappeler l'entrée des hommes dans la profession. Mais je ne trouve pas de trace, tout au long des pages, des courageuses réflexions et actions des sages-femmes dans le xxe siècle, de Mlle Bat à Mme Cartiaux, de notre cri de refus «Ne poussez plus ».

Quelles raisons font que les actes d'autonomie des sages-femmes demeurent encore un « continent caché» pour les journalistes et les historiens? La question est posée. Car il existe chez les sages-femmes une dynamique de réflexion et de pratiques pour l'accompagnement global de la naissance que la population doit connaître.

l'émergence de la conscience du lien entre mères et sages-femmes

    Dans les trente dernières années, on a pu voir dans la profession l'émergence de la conscience du lien entre femmes et sages-femmes, et cela, aucun «masque» ne pourra le cacher totalement.
    Il existe aussi dans le monde des lieux, des régions, où une forte tradition n'a pas permis une « dé-culturation » de la naissance par la médicalistion systématique, et où la médecine des sages-femmes est bien vivante. Il est important de bien analyser ce qui se passe dans ces lieux, en évitant de considérer cela comme des méthodes du passé, mais en y portant un intérêt particulier, afin que les sagesfemmes et les femmes retrouvent l'autonomie de leur conscience collective dans l'art de la naissance

la résistance à la médicalisation systématique

    Il existe aussi une résistance à la « médicalisation systématique ». Même si, globalement, les femmes, les parents sont encore très dépendants d'une médecine de consommation pour la naissance, il n'empêche que des femmes, des hommes, des sages-femmes, cherchent individuellement ou en groupes à mieux vivre cet événement de vie.

Participation des sages-femmes aux groupes de réflexion autour de la  naissance

    On a vu tout d'abord se dessiner la participation de sages-femmes à des « groupes naissance» : cela afin de briser les silences et de retrouver des intérêts communs avec des femmes sensibles aux besoins et désirs des sages-femmes en tant que femmes, mères et passeuses de vie. La participation des sages-femmes à ces «groupes naissance» leur a fait prendre conscience que bien long risque d'être le chemin des mères voulant retrouver leur «sage-femme », tant le médecin et le spécialiste ont été mis à l'honneur ces cinquante dernières années.

La création de l'association Femmes/Sages-Femmes : concept novateur du lien qui unit les mères et les sages-femmes/

 Afin de manifester le lien qui les unit, quelques mères et sages-femmes ont créé en 1975 l'association Femmes/ sages-femmes sur un concept novateur: mères et sagesfemmes, solidaires dans l'art de la naissance, femmes et sages-femmes conscientes de leur complicité retrouvée.

L'Organisation mondiale de la santé, dans sa brochure, La Maternité en Europe, se félicite de cette création et précise qu'elle constitue un exemple unique de fusion entre femmes et sages-femmes: « Son objectif est d'améliorer les conditions d'accouchement pour les mères et les conditions de travail pour les sages-femmes. » Nous avons voulu cette association pour mieux nous redécouvrir entre mères et sages-femmes; nous avions l'impression que les mères avaient oublié leurs sages-femmes. Il n'en est rien pour certaines. Nous nous sommes appréciées, aidées à faire des choix, à mieux analyser les situations et à y faire face. Nous aimerions que plus de mères et de sages-femmes participent à ces groupes, comme des partenaires d'une même aventure.

    Quant au Dr Odent, obstétricien, invité à un congrès de cette association, en 1984, il explique son refus de participer à cette réunion tout en saluant les potentialités du mouvement dont il perçoit l'extraordinaire importance:
«... Il devient évident que la crise obstétricale atteint aujourd'hui un stade aigu, un stade qui impose non pas de petites réformes, mais la recherche de solutions radicales. Par définition, les solutions radicales exigent une référence aux véritables origines, aux véritables racines historiques du phénomène critique. Mieux que quiconque, vous savez que la véritable origine de cette crise se situe il y a quelques siècles, lorsque l'homme-médecin a pénétré dans la chambre des accouchées.
« C'est pourquoi, aujourd'hui, seuls des groupes composés exclusivement des associations d'usagères et de sagesfemmes peuvent regarder l'avenir sans se priver, dès le départ, de la possibilité d'explorer les options les plus radicales. Tant que vous inviterez des médecins, le mouvement sera dénaturé, récupéré et amputé de sa créativité potentielle. .
«Entre femmes et sages-femmes, vous évaluerez plus librement la faillite de l'obstétrique, discipline périmée. Il est permis, aujourd'hui de remettre en cause l'utilité même du médecin accoucheur. L'obstétricien a fait tout ce qu'il était possible de faire pour perturber la physiologie de l'accouchement et le début de la relation mère enfant. Il ne s'est jamais préoccupé des besoins fondamentaux des accouchées: besoin d'intimité, besoin en même temps de se sentir intégrée à une communauté humaine, besoin d'être assistée par une femme expérimentée et maternelle etc.
«Les véritables sages-femmes devraient avoir bien d'autres ambitions que celles d'être des" médecins à compétence limitée ". Elles pourraient être bien plus que cela... dans un autre contexte. L'art de la sage-femme n'est pas une branche de la médecine. Bien entendu, certaines disciplines médicales peuvent aider considérablement la parturition humaine et assurer d'utiles sauvetages. Tout le monde connaît l'apport de la chirurgie grâce à la césarienne segmentaire et aussi l'apport de l'anesthésieréanimation. Par contre, les véritables apports de l'obstétrique sont illusoires à court terme et dangereux à long terme. »

    Il existe, enfin, des sages-femmes qui agissent à l'intérieur de leur profession. Qui ne connaît leur cri de colère «Ne poussez plus» lors des grèves de 1981 et 1988? La colère de dix mille sages-femmes ne pèse pas lourd devant le nombre des autres professionnels de la santé mais elle est tout aussi grande, sinon plus.
    Parmi les différentes associations professionnelles de sages-femmes (dont certaines mériteraient un profond « dépoussiérage» par les méthodes de management moderne), l'une d'entre elles doit être particulièrement mise à l'honneur et soutenue, c'est l'Association nationale des sages-femmes libérales dont les objectifs précisent : «Nous avons choisi d'être sages-femmes libérales pour l'accompagnement global de la naissance, tout en sachant qu'il n'est pas facile aujourd'hui de réaliser le suivi global des mères du début de grossesse jusqu'en suites de couches en pratiquant l'accouchement.»
    En plus de leurs réflexions sur la pratique en libérale ou en salariée, sur le vécu de la naissance en France, en Europe et dans le monde, (lire Enfanter, le lien mère enfant père, Éditions Frison-Roche, Paris), des sages-femmes se sont regroupées pour penser (panser!) leur profession et son environnement au niveau européen. Elles ont.
publié la charte européenne de la sage-femme, véritable document de référence sur leurs analyses en périnatalité européenne en réponse à la charte européenne de la parturiente publiée par le Parlement européen.

La sage-femme est le reflet de la société

     Pour conclure, je voudrais citer Jacques Gélis, historien: « La sage-femme est le reflet de la société. On pourrait dire à la limite que quand une société va mal, la sagefemme va mal. Les sociétés occidentales contemporaines dominées par le mal de vivre actuel n'arrivent plus à définir les nouvelles valeurs indispensables. Elles ne parviennent pas à trouver l'équilibre entre la collectivité et la personne. Dans les pays en voie de développement, où le modèle occidental de médecine tend à s'imposer, la sagefemme risque toujours de voir son influence traditionnelle progressivement limitée au nom de l'efficacité. Là encore, il ne s'agit pas de refuser les progrès réalisés. Mais posons la question essentielle: ne peut-on préserver des vies tout en sauvegardant la culture?
« En m'appuyant sur l'exemple de l'Europe occidentale au cours des siècles derniers, je voudrais que l'on montre davantage de prudence et de réflexion. De prudence, car est-il souhaitable de pousser à un nivellement des cultures, comme si la vie n'était pas diversité? De réflexion, car il est bien évident que, dans le domaine de l'obstétrique et de la médecine en général, la technique a toujours été largement privilégiée, la réflexion sur l'avenir, l'humain largement escamoté. D'ailleurs, dire quel enfant nous voulons àl'horizon du troisième millénaire ne concerne pas seulement celles qui" reçoivent l'enfant dans leur tablier", comme on disait autrefois si joliment des sages-femmes. Formuler une réponse doit être l'ambition de tous, mais les sages-femmes doivent avoir ici une part privilégiée et, pour mieux peser sur les débats, il me semble qu'elles ont à se préoccuper de deux choses: la nécessaire information sur le passé de la profession et la non moins nécessaire prise en compte de la dimension culturelle de la naissance.»

    Notre histoire est un «éternel recommencement », comme la naissance d'ailleurs! Nous ne devons pas disparaître de la conscience collective. Dans ce temps d'hypermédicalisation des vies et des consciences, revoir notre passé nous permet de rééquilibrer nos pratiques en les replaçant dans un plus vaste contexte qui, en relativisant les modes, vérités d'aujourd'hui et erreurs de demain, revalorise l'humain, le convivial, la solidarité, le bonheur, l'émotion. Revoir notre histoire permet enfin de redéfinir, de toute urgence, la place de la naissance dans la vie et la mort des populations et dans le fonctionnement des sociétés.

    Jacques Gélis disait aussi: «Un société a l'accouchement et la naissance qu'elle mérite. » Je peux dire: « Une société, l'Europe, le monde, auront les sages-femmes et les naissances qu'elles méritent, et la sage-femme aura la place qu'elle se créera.»

    Pour ce XXle siècle, André Malraux faisait remarquer comme une prophétie: « Le XXle siècle sera spirituel ou ne sera pas.» Les sages-femmes qui connaissent l'esprit des choses seront-elles encore là pour le prouver? Certainement, si l'accompagnement global de la naissance est respecté. .



08/02/2013
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