la maternité en Europe
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p.152-La maternité en Europe. M.Wagner, OMS
Marsden Wagner, est responsable du secteur santé mère / enfant
à l'Organisation mondiale de la santé Copenhague (Danemark)
Il y a quelques années, le bureau régional européen de l'Organisation mondiale de la santé publiait un rapport: « La maternité en Europe ». Ce rapport, qui a été traduit en allemand, en russe et en anglais, est le résultat des recherches faites sur la situation actuelle des soins péri natals dans les pays européens et formule des recommandations.
La première question qui se pose concernant les soins périnatals est: « Où? » Où peut-on recevoir les soins périnatals? Malgré le fait que l'OMS et tous les pays européens approuvent avec force le principe des soins médicaux primaires, une tendance se dessine en Europe de confier de plus en plus les soins périnatals au secteur des soins tertiaires, à des hôpitaux de plus en plus grands.Cette tendance non seulement pose des problèmes à la femme enceinte, mais a également. des conséquences importantes. Faire entrer les femmmes enceintes dans des hôpitaux équipés de tout un matériel technologique important comporte le risque que, dans presque tous les cas,cette technologie sera utilisée, que la femme enceinte enait besoin ou non. Cet emploi peut conduire à un diagnostic inopportun et donc entraîner un traitement inapproprié. Le nombre de tests pratiqués lors de la grossesse est de plus en plus élevé et cependant la science médicale nous démontre que tous ces examens ne sont pas une nécessité absolue.
Ceux-ci ne sont valables que lorsque la femme enceinte présente des complications pathologiques. Prenons l'exemple du diabète. C'est devenu une véritable maladie de la grossesse. Les résultats de tests sanguins effectués sur les femmes enceintes ont montré des similitudes avec les symptômes du diabète. On parle dès lors d'un diabète lié à la gestation et ce nouveau «syndrome » a engendré une littérature abondante. Les études les plus récentes montrent cependant que le diabète des femmes enceintes est simplement un phénomène de grossesse qui a entraîné un grand nombre de traitements iatrogéniques. Il y a d'autres exemples de surmédicalisation de l'accouchement dans les milieux hospitaliers et même de surhospitalisation, par exemple de futures mères de jumeaux.
La question: « Où? » s'applique également au lieu où la naissance aura lieu. Quand, dans une assemblée, je prononce le mot « maison» et le mot « naissance» ensemble, cela provoque en général une réaction de l'auditoire, plus particulièrement si je m'adresse à des médecins. Cependant, s'il est vrai que certaines femmes nécessitent des soins périnatals particuliers en milieu hospitalier, il est certain que la plupart des femmes pourraient accoucher àdomicile. Comme l'OMS le fait remarquer régulièrement, il n'y a pas de preuve scientifique démontrant que l'hôpital soit plus sûr que le domicile en cas d'accouchement pour une femme ayant eu une grossesse normale. Et cependant, dans beaucoup de pays, il est encore difficile, pour la
future mère, de choisir d'accoucher à domicile et il semble même que, dans certain~ èas, celle-ci peut être poursuivie à cause de son choix!.
Une autre réponse à cette interrogation au sujet du lieu de l'accouchement serait certainement l'existence de petits centres de naissance ou de petites maternités. La tendance dans beaucoup de pays est de pratiquer les accouchements dans des hôpitaux de plus en plus grands. Une littérature scientifique abondante prouve cependant que, en ce qui concerne les accouchements de femmes ayant eu une grossesse normale, ces petites maternités sont aussi sûres, sinon plus sûres, que les grands hôpitaux. D'excellents travaux scientifiques montrent également que les petits centres d'accouchement indépendants, où la femme, après une grossesse normale, peut accoucher accompagnée d'une sage-femme, ne comportent pas plus de risques pour une naissance normale.
La seconde question qui se pose concernant les soins périnatals est: «Quoi? », c'est-à-dire: «Que se passe-t-il pendant la grossesse? Que se passe-t-il pendant l'accouchement?» Le nombre des interventions obstétricales augmente en Europe aujourd'hui. La plus connue d'entre elles est la césarienne. Le bureau régional européen de l'OMS a effectué une étude sur l'augmentation du nombre de césariennes dans plusieurs pays industrialisés. Si le pourcentage moyen du nombre de césariennes pratiquées devrait être au maximum d'environ dix pour cent des naissances, il est évident que beaucoup de pays dépassent ce chiffre, et atteignent jusqu'à vingt pour cent du nombre total des naissances, par exemple au Royaume-Uni, en France, en Italie, etc. C'est extrêmement grave quand on sait que la césarienne augmente considérablement les risques de morbidité et de mortalité tant pour la femme que pour l'enfant.
Il y a aussi une tendance, dans les milieux médicaux, à utiliser l'anesthésie afin de supprimer la douleur pendant les contractions. Cela est proposé aux femmes comme étant sans risque. Cependant, je puis vous assurer que cette méthode entraîne parfois des complications, comme l'utilisation plus fréquente des forceps au moment de la naissance. Il y aurait encore d'autres exemples à dénoncer.
Que pouvons-nous faire? En ce qui nous concerne, la chose la plus importante est de renforcer le rôle des sages-femmes pour accompagner les femmes pendant leur grossesse. Elles sont en effet les principales praticiennes car on peut constater que, en général, là où elles sont étroitement impliquées, aucune autre intervention n'est nécessaIre.
La troisième question qui se pose est: « Qui donne les soins postnatals? » Le rapport retrace l'évolution du rôleimportant que les sages-femmes jouaient dans l'accompagnement de la grossesse et de l'accouchement. Ce rôle lui a été progressivement confisqué. Le médecin a vu croître son prestige. En effet, l'obstétricien s'est de plus en plus impliqué dans les soins à donner non seulement aux femmes enceintes présentant des complications, mais également aux femmes ayant une grossesse normale et un accouchement normal. Cependant, au cours des cinq dernières années, il semble que, dans certains pays industrialisés, il y a une tendance à réévaluer la profession de sage-femme, surtout la praticienne indépendante qui devrait jouer le rôle principal auprès de la femme ayant une grossesse normale.
En Grande-Bretagne, une nouvelle réglementation donnant aux sages-femmes plus d'indépendance et renforçant leur rôle dans les soins périnatals a été votée.
Au Danemark, de nouvelles réglementations établissent que les soins périnatals devraient être donnés dans des centres dirigés par des sages-femmes. Ce programme prévoit également une continuité dans les soins, de telle manière que les trois mêmes sages-femmes qui assurent les soins aux femmes enceintes d'un quartier les assistent également au moment de leur accouchement à l'hôpital local.
La profession de sage-femme a enfin été légalisée dans certaines provinces du Canada et il est clair que ce pays découvre rapidement et apprécie progressivement la valeur essentielle du travail accompli par ces travailleuses de la santé.
Aux États-Unis, un nombre de plus en plus grand de femmes demandent l'aide des sagesfemmes au cours de leur grossesse et de leur accouchement normal.
En Nouvelle-Zélande, une nouvelle loi nationale a été votée au Parlement, l'été dernier, reconnaissant la sage-femme comme indépendante.
En Autriche également, la profession de sage-femme connaît un renouveau et un nouvel essor. Les sages-femmes se reveillent partout dans le monde et elles s'établissent comme des personnes-ressources (l) efficaces pendant la grossesse et la naissance. (l-Terme employé par l'Organisation Mondiale de la santé pour qualifier une personne compétente dans le sujet traité.)
En ce qui concerne l'avenir de la profession, nous sommes convaincus, au sein de l'OMS, que la clé de votre succès réside dans l'information. En d'autres mots, la femme enceinte devrait être informée sur les possibilités qui s'offrent à elle. Elle devrait être en mesure de choisir librement ce qu'elle veut pour sa grossesse et son accouchement. Ce choix inclut le : « Où? » de son accouchement: domicile, petit centre d'accouchement, petite maternité ou grand hôpital. Elle devrait également avoir le choix en ce qui concerne le: « Quoi?» Elle devrait être informée sur ce qu'elle peut demander pendant sa grossesse ou au moment de son accouchement. Par exemple l'analgésie péridurale. Elle devrait être mise au courant des effets secondaires et des risques des moyens proposés.
Le choix inclut également le: « Qui? », ce qui veut dire: « Qui l'accompagnera pendant sa grossesse et son accouchement ? » Dans le passé, la femme enceinte n'était pas informée ou mal informée. Nous, médecjns, nous avons tendance, en général, à être trop hésitants à donner des informations. Cela est bien sûr particulièrement vrai en ce qui concerne la grossesse (qui n'est pas une maladie) et la naissance (qui n'est pas une intervention chirurgicale). En effet, la grossesse et l'accouchement font partie de la vie normale et sont l'un des événements les plus importants de la vie d'une femme et d'une famille. Pour vous montrer l'importance d'une bonne information, je voudrais vous lire le paragraphe final du livre La Maternité en Europe: «Chaque femme devrait pouvoir choisir en connaissance de cause comment ces soins lui seront dispensés. Récemment, l'expression" consentement éclairé" a été mieux acceptée dans les soins de santé, mais le mot consentement implique l'accord avec le choix fait par quelqu'un d'autre.
Aujourd'hui, dans les hôpitaux, il arrive souvent que le médecin-chef décide que les femmes peuvent, par exemple, aller et venir pendant le travail si elles le désirent. Mais tout ce que le médecin n'a pas explicitement autorisé est interdit. Il ne s'agit évidemment pas là d'un véritable choix. Comme on l'a dit plus haut, il est essentiel que la femme sente qu'elle maîtrise la situation si l'on veut qu'elle puisse spontanément et efficacement ouvrir son corps pour mettre son enfant au monde. Par conséquent, le sentiment d'avoir la liberté de choix et, ce faisant, de maîtriser la situation, est peut-être plus important que l'objet du choix. Tout le monde, les soignants, les usagers et l'ensemble de la société, est d'accord pour dire que la mort d'une femme ou d'un enfant est une tragédie qu'il faut empêcher dans toute la mesure du possible. Mais les êtres humains ont également toujours considéré que certaines choses étaient aussi importantes que la survie, par exemple la liberté de vivre sa vie à son gré et de faire des choix individuels en accord avec sa propre échelle de valeurs autant qu'avec l'échelle de valeurs de la société. »
J'aimerais qu'un groupe de sages-femmes établisse une charte qui dirait qu'elles doivent être les saignantes principales dans toutes les circonstances normales de la grossesse et de la naissance. Cela n'est pas seulement un rêve. Cela doit devenir la réalité (l). (l-1. Le rêve du Dr Wagner est devenu réalité. Sages-femmes du monde, à l'occasion du congrès européen de sages-femmes à Bruxelles (mai 1991), a publié la Charte européenne de la sage-femme, cf. p.261.
Cette évolution de la profession de sage-femme a lieu déjà dans plusieurs pays d'Europe de l'Ouest. Les sages-femmes belges ont encore beaucoup à faire afin d'améliorer leur sort. Les sages-femmes doivent s'unir. Ce qui est important, c'est le soutien mutuel et la collaboration entre les sages-femmes et les femmes. Là est le secret du développement futur de votre profession. J'espère que vous allez continuer votre lutte et le faire avec amour.