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la sage-femme et le diagnostic ante-natal


page117 - la sage-femme et la diagnostic anté-natal

p.117-La sage-femme et le diagnostic anténatal-B.LeGoedec,

Benoît Le Goedec sage-femme, France

 

Une maternité est un lieu où l'on donne la vie et, dès que l'on parle de grossesse, on pense à un événement heureux. Mais on oublie que la grossesse n'aboutit pas toujours à l'enfant rêvé et que son bon déroulement peut parfois être compromis. De plus, le foetus est maintenant accessible à diverses méthodes d'explorations et devient un patient. Le diagnostic anténatal d'une anomalie fretale permet certes d'améliorer la prise en charge de la grossesse et de faire naître l'enfant dans les meilleures conditions d'accueil médical et psychologique, mais il le place aussi parfois face. au verdict de mort. L'annonce de ce diagnostic entraîne un bouleversement des parents allant jusqu'au désinvestissement de la grossesse et au refus immédiat de l'enfant.

 

Dans toute grossesse, la sage-femme, outre la surveillance médicale, essaie d'aider le couple à faire la relation entre ses objectifs et sa capacité à les atteindre. Elle essaie de reconnaître en chaque femme cette compétence à donner la vie et l'amène à avoir confiance en elle. Elle trouve peut-être sa raison d'être encore plus que de coutume dans cette situation où l'équilibre du couple est ébranlé dangereusement.

 

Nous montrerons l'importance de son rôle dans le diagnostic anténatal, en amont lors de l'échographie, et en aval par une conduite d'accompagnement des parents aussi bien dans la poursuite de la grossesse que dans son interruption médicale. Nous extrairons alors quelques réflexions ou propositions afin d'améliorer encore notre attitude première.

 

Le diagnostic anténatal en cours de grossesse met en jeu plusieurs techniques:

- la biopsie de trophoblaste, faite très précocement et situant l'éventuelle interruption de grossesse dans le  cadre légal de l'IVG;

- l'amniocentèse, plus tardive et au résultat différé dans le temps;

- la ponction de sang foetal, aux indications assez rares;

- l'échographie, ayant la particularité de devoir être réalisée en direct.

L'échographie représente l'examen fondamental car elle évoque souvent pour la première fois l'existence de l'anomalie fretale. La sage-femme peut, par sa présence en échographie, être à l'origine de ce dépistage. Or il semblerait, d'après différents entretiens, que l'abord de l'échographie par une sage-femme diffère de celui d'un médecin (sans faire une règle générale). La sage-femme entrevoit beaucoup plus la globalité de la mère et de l'enfant et rencontre en premier lieu un fretus qui va bien. Elle prend du temps, parle du bébé et de sa vie (il bâille, etc.). Le médecin-échographiste aurait une concentration plus aiguë, recherchant foncièrement l'anomalie. Il parle peu. Pour la sage-femme, l'échographie devient une consultation à part entière. Le couple a rendez-vous avec son enfant dont le bien-être est garanti par une tierce personne et non plus par des impressions sensitives seules. La sagefemme est là pour la vie et l'entoure.

 

Malheureusement, il faut parfois dire que l'enfant n'est pas « normal ». Après l'annonce, le couple est sidéré, choqué. Il est d'abord anéanti, incapable de réagir, puis refuse ensuite de nous croire. Tous les fantasmes d'anormalité de l'enfant sont étayés par la réalité. Il existe alors une grande inquiétude et une culpabilité, comme si l'imaginaire avait contribué à déclarer l'anomalie. A cela se mêlent des sentiments d'échec et d'incapacité à donner naissance, et parfois le désir de réparation ou de mort du fretus est immédiat.

 

Lors du deuxième entretien (quelques jours après), nous pouvons reprendre et confirmer ce qui a été dit. Nous proposerons aussi une conduite à tenir, discutée et agréée par toute une équipe médicale à des parents ayant, de leur côté, déjà effectué un cheminement psychologique. La décision du staff s'établit entre la préservation du oretus et la poursuite de la grossesse, ou l'interruption médicale de grossesse. Les parents doivent être informés de l'accord du staff pour cette possibilité avec neutralité et sans influence. Le choix final dépend d'eux seuls et, là encore, ils ont besoin d'un temps de réflexion. Quoi qu'ils décident, le reste .de la grossesse a lieu dans un climat d'angoisse.

 

Devant l'attention particulière que réclament ces grossesses au début difficile, la sage-femme est l'interlocuteur privilégié car elle assure un accompagnement psychologique et atteste, par sa seule présence dans le suivi médical, le caractère « normal» de cette grossesse; Présente à toutes les étapes de la naissance, elle peut essayer de rétablir un climat de confiance. EIIe rassurera sur la préoccupation de préserver la vie, mais aussi sur sa qualité, et se fera l'interprète de toute l'équipe obstétrico-pédiatrique dans ce sens. Cet espoir de vie récupéré, il existe déjà une réparation psychique de l'enfant et le couple peut alors retrouver un certain équilibre et réinvestir la grossesse en faisant de nouveaux projets avec son futur bébé. Afin de permettre cela, la sage-femme accompagne les parents aux entretiens et examens pratiqués dans le cadre de la surveillance fretale. Par le vécu simultané de ces moments, ayant entendu les mêmes informations, au même moment et avec les mêmes mots, elle peut les expliquer de nouveau à la mère et au père s'ils en manifestent le désir.

 

Par leurs rencontres répétées, la sage-femme se libère de l'intervalle limité d'une intervention brève et ponctuelle et elle peut alors entrer dans le canal émotionnel proposé par les parents et ainsi saisir les appels à l'aide. Dans ce cas, elle fait entendre l'information en étant sûre d'être comprise.

 

A la naissance, la sage-femme préservera l'attachement de la mère à son bébé en privilégiant un contact avant le transfert. Durant les suites de couches, elle assure la liaison entre la mère et la néonatologie, avec l'aide des pédiatres en maternité. L'allaitement est souvent une façon, pour la mère, de montrer à son enfant qu'elle est toujours présente et de croire contribuer à son prompt rétablissement. Elle se raccroche à ces tentatives épuisantes de maintien de cet allaitement comme pour combler le vide laissé par le transfert du bébé. Alors, centrée sur son effort, elle ne s'autorise pas à « craquer ». A la sage-femme de l'aider à exprimer ses sentiments, à reconnaître l'expression d'une réparation de sa culpabilité, par rapport à son nouveau-né, au travers de l'allaitement. A elle aussi de soutenir uniquement les allaitements maternels réellement désirés.

 

Si le choix porte sur l'interruption médicale de grossesse, la sage-femme restera à l'écoute, toujours disponible, apportant des réponses claires aux questions et se souvenant que cette décision a été prise par le couple comme la solution la moins mauvaise,. après accord collectif d'une équipe médicale pluridisciplinaire.

Les modalités de cette interruption sont importantes. Une fois le travail commencé, il est poursuivi en salle de naissance; la sage-femme y étant présente sans interruption, sa disponibilité est plus grande et permet un meilleur encadrement. Elle veille à un accueil personnalisé, limité au strict minimum de personnes nécessaires, afin de ménager un espace d'intimité suffisant pour faciliter l'expression des sentiments. La présence du père semble utile en tant que partage, puis par la suite soutien.

 

Par le maintien de ce lien avec la femme qui accouche, le couple pourra reparler des mêmes moments et l'évolution simultanée de leur deuil favorisera la guérison. En l'absence de contre-indication, une analgésie péridurale peut être pratiquée dès le début du travail. Elle permet un vécu plus détendu. Une perfusion de Péthidine (DolosaI) peut soulager la femme dans les autres cas ou avant l'installation de la péridurale. Le reste de la surveillance est identique à l'accouchement normal. Mais une anesthésie générale est souvent proposée pour l'expulsion du foetus avec comme indication :  le retentissement psychologique de l'accouchement chez la mère, mais aussi celle, moins reconnue, d'éviter de faire tout geste douloureux dans ce contexte! Elle doit rester un choix de la mère. Celle-ci la désire souvent pour ne pas voir immédiatement son bébé. L'anesthésie est alors faite le plus tard possible (au moment des efforts expulsifs) dans le but premièrement de rendre l'extraction plus aisée, ensuite de permettre l'utilisation de drogue à demi-vie brève pour ne pas induire un endormissement prolongé et un réveil difficile. Ainsi le dialogue au cours de l'accouchement reste possible et est, de ce fait, moins souvent contourné. En outre, il peut être donné pendant le travail une information sur l'existence d'autres moyens de dissimuler le corps del'enfant au moment de son dégagement, pour laisser aux parents un instant de préparation à le recevoir. Une de ces possibilités est le positionnement de champs opératoires carrés.

 

 

Il peut être important de montrer l'enfant mort-né; cela permet la séparation avec l'enfant «imaginé ». On offre ainsi un corps à pleurer et on favorise la progression du travail de deuil. La sage-femme suggère donc fortement la vision et le toucher de l'enfant mort. Il apparaît que cette rencontre est bien supportée, que la mère ressent un apaisement, ce qu'elle avait imaginé étant souvent pire. Dans le cas où la mère ne veut pas le voir et est sûre de son choix, il est toujours possible de ne l'apporter qu'à l'autre parent afin de ménager la potentialité d'une présentation verbale plus tard. La mère sait qu'il existe ce souvenir tangible chez son conjoint et qu'elle peut le faire parler, le questionner quand elle en aura envie. C'est dans cette optique que garder une photographie du foetus dans le dossier semble avoir une raison d'être. Comme peut être important le choix d'un prénom. Cela est fait fréquemment assez tôt dans la grossesse et la relation anténatale qui s'établit avec le fretus se tisse aussi par son intermédiaire. De toute façon, l'association a lieu, d'autant plus que le sexe était connu après échographie ou amniocentèse. La sage-femme conseillera d'attribuer le prénom à l'enfant pour lui donner sa place réelle dans l'histoire familiale.

 

Enfin, le devenir du corps reste une question fondamentale et il est important de répondre aux interrogations des parents. Le corps de l'enfant peut être conservé au service mortuaire durant le séjour de sa mère, afin d'autoriser leur rencontre autant de fois qu'elle en manifeste le désir. Des funérailles privées peuvent être organisées par la famille après le terme de vingt-huit semaines.

 

En ce qui concerne les suites de couches, le séjour enmaternité est court (quarante-huit heures en moyenne) mais important: l'écoute doit continuer à être large. Ces accouchées sont souvent isolées dans le service de gynécologie car elles n'ont pas d'enfant. Il est pourtant nécessaire pour elles de persister dans leur rôle de mère malgré tout. C'est pourquoi la sage-femme assure le suivi médical et s'occupe de leur séjour comme de celui de toute autre accouchée. Elle veille aussi à ce que la chambre de ces patientes ne soit pas évitée par le personnel paramédical et, pour cela, assure de bonnes transmissions de l'information et de ce qui a été dit ou non.

 

Malgré tout ce qui a été mis en route pour entourer les parents, le retour à domicile sans enfant est difficile: il y a un choc face au vide et aux préparatifs pour la naissance de l'enfant. Il faut envisager toutes ces difficultés avant la fin du séjour en maternité. Il faut dire aux parents que l'on sera toujours présent, disponible, pour répondre aux interrogations futures ou au besoin 'pour parler de nouveau de ce qu'elles viennent de vivre. Eventuellement, un rendez-vous est pris pour rassurer et vérifier quelque temps après que tout va bien.

 

Les réflexions sur les attitudes à prendre se révèlent être les suivantes: devant une situation difficile, un malaise profond de la femme, nous sommes mises à notre tour en grande difficulté. La naissance de l'enfant « imparfait» et l'interruption médicale de grossesse sont deux de ces moments. La tendance à la fuite ou à une protection derrière des éléments personnellement supportables est alors utilisée. C'est peut-être là un des dangers pour le couple car l'impact d'attitudes négatives est plus grand encore que celui d'attitudes positives. Nous nous devons donc, en tant que sages-femmes, de prendre conscience de notre propre gêne dans le but d'élargir notre écoute, de ne pas attendre la naissance d'une difficulté mais de chercher ce qui peut se passer. Notre capacité à reconnaître et à canaliser l'angoisse, la qualité de notre accueil sont importantes tant sur le plan médical que sur le plan psychologique.

 

Nous nous retrouvons face à des réactions de deuil aussi bien dans la poursuite de la grossesse avec un fretus porteur d'une anomalie que dans l'interruption de grossesse. Il est alors important de connaître et de comprendre les mécanismes du travail psychologique de deuil. Ainsi, il est plus aisé d'affronter ces différentes manifestations et d'en surmonter les obstacles.

 

Un autre support considérable est la sécurité des techniques médicales: en avoir une bonne maîtrise permet une disponibilité plus grande. . Mais quelles paroles avoir devant le désarroi des parents? Nous sommes assez dépourvues de langage: où se trouve la frontière, dans nos paroles, entre leur portée humaine, la réalité et la banalité? Et il est vrai qu'il est professionnellement «facile» de ne pas savoir quoi dire.De plus, on ne mesure jamais pleinement les répercussions de ce que l'on dit et il est difficile de ne pas fuir ni d'intensifier la douleur mais simplement de la respecter. Il faut pourtant savoir expliquer les réactions engendrées par le deuil, rassurer sur leur normalité, répondre aux questions, suggérer les attitudes en gardant toujours le respect du choix du couple.

 

Il est nécessaire aussi que toute l'équipe de la maternité marche dans le même sens: il y a donc un état d'esprit à donner tout en évitant pourtant l'établissement de protocole. En effet, celui-ci nous entraînerait à calquer une attitude générale sans avoir modifié notre attitude personnelle.

 

L'important est aussi de faire reconnaître notre droit au bien-être car alors tout devient plus simple. A la sagefemme de savoir parfois passer la main pour éviter la perte de l'écoute. Il n'existe pas de spécialiste de la mort ou de la douleur. Tout le monde doit se sentir concerné. C'est pourquoi des réunions régulières de toute l'équipe pourraient permettre le partage de nos réflexions, la compréhension

de certaines situations bloquées et favoriseraient notre débordement émotionnel. Cela nous permettrait alors de retrouver notre sérénité, évitant que nos sentiments, notre peur devant la mort, notre répulsion ou notre culpabilité ne trouvent leur résolution dans la fuite ou le déni. Le diagnostic anténatal d'une anomalie fretale, que la grossesse se poursuive ou soit interrompue, est une situation à risque pouvant compromettre l'avenir du couple. L'accompagnement des parents est donc indispensable pour que la mise en route des différents examens et de la décision ne s'impose pas comme obstacle à l'écoute et à toute dimension humaine, et pour les aider dans leur cheminement. Mais cette présence authentique implique que le personnel médical accepte la crise émotive.

 

La spécificité de la sage-femme, alliant compétence médicale et accompagnement de qualité, lui permet de

compenser l'expression de la pathologie comme de la parole, de dégager alors la distance nécessaire entre l'acte médical et la relation d'aide psychologique. Ainsi l'espace propre au couple pour son cheminement n'est pas comblé.

 

 

La sage-femme ne peut donc pas ne pas se sentir concernée. Et les réactions à chaque étape de notre démarche nous confortent dans l'importance de la place de la sagefemme, dans le diagnostic anténatal, auprès des parents ayant à vivre la naissance difficile de l'enfant « imparfait» ou de celui qu'on n'a pas laissé vivre. La sage-femme n'aurait-elle pas, en plus de son rôle essentiel d'accompagnement des naissances normales, le rôle de médiateur àjouer au sein de l'équipe médicale en prenant part aux discussions? Ne serait-ce pas contribuer à maintenir l'équilibre entre l'interruption thérapeutique de grossesse ou la poursuite de la grossesse et l'indispensable nécessité de vivre, aussi bien pour les parents que pour les professionnels?

 

 

 

 

 

 


08/02/2013
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