y-a-t-il une sage-femme dans la salle ?
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p.219-y-a-t-il une sage-femme dans la salle ? B.Verstraete-ESF Belgique
Journal de bloc d'accouchement - Béatrice Verstraete élève sage-femme, Belgique
Lors d'une assistance à un accouchement, je commençais à aider la maman à s'installer en position d'expulsion lorsque le kinésithérapeute entra dans la salle en déclarant que la position adoptée n'était pas la bonne. Il Ia rectifia de quelques centimètres.
Le médecin arriva pour faire l'accouchement. Il s'installa, parlant uniquement au kinésithérapeute, puis demanda à la maman de commencer à «pousser ».
Je m'étais mise à côté d'elle pour l'aider non seulement à pousser, mais à respirer, à vivre son accouchement, à sentir ses contractions utérines car elle était sous analgésie péridurale. Mais comme il n'y avait pas assez de place sur le ventre de la maman pour deux paires de mains, et que celles du «kiné» étaient plus «habituées », plus « compétentes» que les miennes, je me suis donc retirée, laissant la future maman sous les ordres « énergiques» de celui qui devait l'assister.
Je me suis alors postée en observatrice de l'expulsion et non plus en accompagnatrice d'une naissance.
Une fois le bébé né, mis sur le ventre de sa maman, j'ai volu présenter les tubes pour les prises de sang au cordon mais le « kiné» les a repris: c'était aussi son rôle.
Lors de la délivrance, j'ai tenté de masser l'utérus afin de vérifier le « globe utérin» : ma technique de massage n'était pas la bonne. « Laissez-le faire, mademoiselle, il sait mieux », m'a dit le médecin.
Lorsque l'accouchement fut terminé, j'ai alors pu faire une chose sans que l'on me dise rien: ranger la salle. Et cela, je l'ai certainement bien fait car il n'y a pas eu de commentaire.
Comment comprendre ce genre de situation? Le problème est que la sage-femme n'a plus sa place dans ce fonctionnement. Si moi, en tant qu'étudiante, j'ai tenté de prendre une place d'assistante et que l'on m'a repoussée, c'est que les sages-femmes du service ne prennent plus cette place.
Médecin et kinésithérapeute fonctionnent bien entre eux, et les sages-femmes sont complices de ce fonctionnement. Après cet accouchement, alors que je demandais à la sage-femme si ce genre de situation se présentait souvent ou si c'était parce que l'on ne me connaissait pas, elle me répondit que c'était toujours le kiné qui faisait tout, même les PH du bébé! Et elle ne paraissait pas trouver cela anormal. Le problème principal est donc la « non-place» de la sage-femme dans les salles d'accouchement. Cela entraîne inévitablement une non-reconnaissance de notre profession de la part du kinésithérapeute et surtout du gynécologue qui attribue notre rôle à quelqu'un d'autre!
Auprès des parents, pour qui passons-nous alors? Pour des infirmières qui rangent la salle d'accouchement... Et probablement que ces parents raconteront leur accouchement à d'autres et que cette fausse image fera boule de neige. Il faut absolument couper cette chaîne rapidement et restituer à chaque profession sa spécificité et son rôle.
Cette situation, dans un premier temps, m'est apparue comme mettant en cause un vide d'apprentissage. Mais finalement, ce vide d'apprentissage technique s'est comblé par un désir encore plus grand de comprendre pourquoi cette équipe réagit de cette façon, et par une envie folle de me « battre» pour récupérer une place dans la naissance.
Le dialogue avec la sage-femme qui trouvait cette situation tout à fait normale m'a découragée et déçue, car si certaines sages-femmes elles-mêmes ne sont plus assez objectives ou motivées pour avoir leur rôle propre, personne ne se souciera de nous!
Cette situation s'est déroulée à l'hôpital, institution dans laquelle apparemment les journées sont rythmées par ce genre de fonctionnement. Et elle met en évidence que plusieurs personnes, les gynécologues, les sages-femmes, les kinésithérapeutes sont concernés. Je crois que cette situation m'a frappée personnellement car je suis étudiante en stage, ce qui signifie que je possède un « reil frais» et peut être plus objectif que le regard des personnes qui sont journellement présentes et « habituées» à ce fonctionnement.
Je crois que la non-reconnaissance du rôle de la sagefemme en Belgique est bien connue et l'origine de ce problème se situe dans les faits suivants: nous possédons un diplôme d'infirmière, ce qui signifie que pendant trois ans, on nous inculque un esprit d'exécution. Cela ne facilite pas la prise de responsabilité par la suite. De plus, certaines choses entraînent une confusion dans la tête des gens:
- le manque d'écrits, d'articles rédigés par les sages-femmes;
- la méconnaissance de la profession par le public;
- l'augmentation du nombre de kinésithérapeutes dans les années 1960-1970 et la diminution de celui des sagesfemmes;
- la médicalisation à outrance du phénomène physiologique de la naissance ainsi que le nombre croissant des gynécologues;
- le morcellement du suivi de la naissance et le manque d'accompagnement global en périnatalité.
Il y a encore beaucoup d'autres causes mais je pense que ce sont les principales. Je crois que, dans la situation décrite, les sages-femmes de cette institution sont complices de leur manque de responsabilité: il est vrai qu'on ne se bat en général pas pour quelque chose qui nous semble normal et acceptable. Comme le dit très justement Dominique Porret, sage-femme: «... Sommes-nous devenues des accoucheuses-cerbères?»
Les réactions auraient-elle pu être différentes? Je l'espère bien! Je pense qu'il ne faut pas être utopiste et vouloir un changement radical et immédiat, c'est un travail de longue durée. Il faudrait, petit à petit, prendre conscience de nos responsabilités et de la vraie place de la sage-femme, et que cela soit fait par toutes. Et puis, mais cela découle de cette prise de conscience, s'imposer en tant que vraie sage-femme auprès des couples, auprès des médecins et kinésithérapeutes.
Je pense que c'est un travail de tous les jours, et qu'il faut commencer à parler des sages-femmes autour de soi, répandre leur réelle image. Je pense également très important de voir ce que font les autres collègues des pays européens et du monde. Cela donne une envie encore plus grande de s'exprimer puisqu'il est prouvé qu'il y a moyen d'arriver à quelque chose de concret. Je pense également qu'il est très important que les sages-femmes aient un rôle et un champ d'action original qui faciliterait l'autonomie des parents, la préparation à la naissance et l'accompagnement global des couples depuis le début de la grossesse jusqu'après l'accouchement.
Je crois qu'il est important également, dans une situation comme celle décrite ci-dessus, de couper les fausses images répandues lors d'un accouchement. Exemples: rectifier lorsqu'on nous appelle «infirmière» ou «accoucheuse »; expliquer lorsque la situation le permet ce qu'est une sage-femme; ne pas laisser croire aux parents n'importe quoi et surtout pas n'importe quelle idée à propos des sages-femmes. A tout cela, il faut ajouter de la solidarité et de la compétence ainsi que de la volonté et du courage.
J'espère, alors, que nous arriverons à un résultat.