et quand la naissance n'est pas heureuse ?
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p.111-Et... quand la naissance n'est pas heureuse-F.jacobs(Belgique)
La sage-femme a pour rôle d'aider les femmes à mettre au monde un enfant. Cette participation à l'éclosion d'une nouvelle vie est la motivation principale - sinon la seule de toutes celles qui choisissent d'exercer cette profession. Mais nous savons que toutes les naissances ne sont pas heureuses: l'accouchement réserve parfois de douloureuses surprises; il faut faire face à des accidents plus ou moins graves; affronter la mort là où devait apparaître la vie.
Ces pénibles éventualités s'avèrent d'autant plus difficiles à vivre que, dans nos pays tout au moins, la médecine est spontanément considérée comme capable de prévenir et de surmonter victorieusement tous les obstacles. De là à considérer les échecs comme des fautes dont on cherche les responsables ou dont on se sent personnellement coupable, il n'y a qu'un pas vite franchi. La sage-femme qui fait plusieurs fois l'expérience douloureuse de son impuissance risque de se décourager, de se croire irrémédiablement désarmée face à toute situation tragique. Alors, le découragement et la dépression ne sont pas loin. Au contraire, l'échec positivement assumé et dont on tire les leçons est un facteur de progrès pour soi et pour les autres.
Mais, pratiquement, quelle réalité professionnelle la sage-femme vit-elle? En milieu hospitalier, souvent seule aVec la parturiente au moment de l'annonce de la mauvaise nouvelle ou de la confirmation de l'accident redouté la sage-femme doit faire preuve d'une grande maîtrise de soi qui n'a rien de commun avec une quelconque insensibilité de professionnelle «qui en a vu d'autres », qui passe sans cesse de la vie à la mort en allant d'une chambre à l'autre.
Elle doit prendre le temps de s'asseoir sur la chaise qui se trouve près du lit où la femme a été reconduite. Peu de temps lui est accordé. Elle va être rapidement appelée ailleurs par les obligations de son service, mais la famille, qui prendra toute la place, ne tardera pas à arriver. Les premiers moments que la sage-femme peut consacrer à la patiente sans que rien ni personne n'interfère sont donc très importants. En outre, en raison de la brièveté de l'hospitalisation, l'accouchée va se retrouver très tôt - pour le meilleur ou pour le pire - replongée dans son milieu, dans la solitude, livrée à elle-même, pendant de longues heures chaque jour.
La sage~femme doit tenir compte de tous ces éléments, ce qui ne simplifie pas la tâche, loin de là. Si l'on ajoute que chaque femme est unique et réagit de manière unique quand elle est confrontée à un échec de ce genre, il va sans dire qu'on ne saurait donner ou trouver des recettes applicables dans tous les cas semblables. Mais on peut esquisser quelques lignes de conduite susceptibles de servir de références pour vérifier et ajuster au besoin sa manière d'agir. En effet, si la bonne volonté est utile à tout, elle ne suffit à rien. On ne peut pas davantage se fier aveuglément à ses intuitions, même si elles se sont souvent révélées justes.
Une enquête a été faite par le Dr Rousseau pour évaluer la manière dont les professionnels vivent la découverte d'un handicap. Ses conclusions nous apprennent que les réactions éprouvées par les soignants sont d'une intensité telle que beaucoup expriment le besoin d'un soutien et que presque tous parlent de la nécessité d'une communication efficace entre les soignants de différentes disciplines. De ce constat, nous devons, à notre tour, tirer des conclusions concrètes et pratiques pour la formation initiale des élèves-sages-femmes, et pour la formation continue de celles qui exercent déjà la profession.
Tout en reconnaissant la valeur du « choix pour la vie qui motive les élèves sages-femmes, il est indispensable de leur faire prendre conscience du fait que toute naissance n'est pas heureuse, qu'elles seront confrontées à des situations extrêmement pénibles, que ce peut être parfois à la mort de l'enfant qu'elles espéraient, avec les parents, voir naître à la vie.
Il faut choisir le moment et la manière de leur présenter cette face douloureuse de la profession. On évitera alors le choc qui pourrait les décourager, leur faire perdre leur enthousiasme. Il s'agit, en effet, de les préparer à affronter ces situations de manière adulte, en restant, jusque dans ces moments-là, des «auxiliaires de la vie
La formation scientifique et technique reste fondamentale. Mais elle ne suffit pas. Il serait grave de donner à
penser que la sage-femme peut se désintéresser des problèmes d'ordre psychologique causés par une naissance
malheureuse, sous prétexte qu'il y a, pour cela, des spécialistes. Elle ne cherchera certes pas à se substituer à eux. Au contraire, non seulement elle se tiendra informée de leurs avis et de leurs travaux, mais elle fera appel à leur compétence dès que la pathologie de la patiente le requiert, sans jamais toutefois se dérober aux responsabilités qui lui incombent.
La formation doit porter sur les attitudes et les comportements professionnels individuels et en équipe. On accordera une grande importance aux réunions de supervision et aux stages. Si l'on veut que cette orientation pour la formation Continue soit efficace, iJ faut avant tout connaître les différentes phases du deuil «normal,. et du deuil pathologique (l)
(l) cf. sages-femmes du monde, Enfanter, le lien mère enfant père, op. cit., p. 181)
- Les phases du deuil (J. Bow1by) :
Engourdissement, choc, incrédulité. Recherche du disparu: bouffées de colère, irritabilité,
accès de larmes, pleurs, soupirs. Désorganisation: dépression, désespoir. Réorganisation: solitude, peur d'une nouvelle perte.
- Le deuil pathologique (J. Bowlby, 1980, C.M. Parkes,
1985) :
Absence du deuil conscient: déni. Persistance de l'organisation de la vie antérieure. Maladies somatiques ou psychiatriques.
. Le deuil ambivalent:
Soulagement, culpabilité, punition.
. Le deuil chronique:
La personne pense que la perte est réversible. Persistance de la colère, de la dépression. de
l'anxiété.
La connaissance de ces diverses phases est indispensable pour accompagner à bon escient la famille en deuil.
En outre, elle permet de déceler à temps les symptômes annonciateurs d'une dérive pathologique qui nécessite l'intervention d'un thérapeute spécialisé. Il faut aussi que la sage-femme se livre à une vérification régulière, personnelle et en groupe, de ses émotions, de ses sentiments, des réactions suscités. Si tout échec est, en quelque sorte, un deuil, il importe de contrôler qu'on le vit «normalement» et de déceler, comme lorsqu'il s'agit des autres personnes, tout symptôme de type pathologique.
Mais ce qui est primordial, c'est la qualité des moyens d'évaluation. L'organisation des lieux de réunion n'est pas sans importance. Ils doivent être assez spacieux et suffisamment confortables: un local oppressant où chacun ne dispose pas d'une vraie place est un obstacle à l'échange que peu sont en mesure de surmonter.
Quant au temps de parole, l'idéal reste le temps « hors horaire» de travail. Il est des cas où il s'impose. Il ne faut pas confondre «liberté de parler ou de se taire et «liberté de venir ou non à ces réunions ». Ce n'est pas la longueur de la réunion qui compte, mais ce qu'on y fait et ce qu'on y dit. Selon les cas, il s'agira de réunions d'information sur un sujet donné, d'une réflexion qu'un fait, un incident, la réaction d'une patiente, etc., suggère. Il ne s'agit pas de mettre les autres en cause - et encore moins en accusation - mais au contraire de s'interroger ensemble et de s'entraider à assumer positivement les erreurs, maladresses, oublis, etc. Il suffit souvent de s'exprimer et d'être écouté pour que des situations, mieux et plus sereinement perçues, soient dédramatisées; ce qui ne veut pas dire prises à la légère, avec désinvolture.
Il va de soi que ce genre de réunions organisées pour toute l'équipe ne rendent pas inutiles les dialogues spontanés avec une personne de confiance. Se garder du totalitarisme des "bonnes structures» !
Il faut aussi apprendre à accueillir les réactions des patientes, l'expression de la manière dont elles perçoivent nos attitudes, nos comportements, fussent-ils, objectivement, irréprochables ou si naturels qu'on n'y a pas prêté attention. «Vous pouvez toujours faire quelque chose, disait une accouchée. Je me souviens du regard de la sage-femme, et de sa main posée un instant sur mon bras. » Par contre, une autre accouchée, qui avait cru voir la sage-femme se débarrasser rapidement de quelque chose après une fausse couche, s'était écriée: « Elle a jeté mon bébé à la poubelle!»
Qu'importent le bien-fondé ou l'injustice de telles réflexions! Elles traduisent ce que les autres perçoivent. Il faut les accueillir, parce qu'elles peuvent en apprendre beaucoup plus qu'un cours sur les gestes à faire ou à éviter. En tout cas, elles aident à ne pas se laisser «pervertir", malgré soi, par la routine et l'inattention aux détails qui font souvent la différence, qui sont ressentis, parfois, comme le plus important.
En conclusion, je pense qu'il est capital que chaque sage-femme, personnellement et en équipe, s'interroge lucidement sur ses émotions et ses réactions dans des situations de deuil périnatal. Cette nécessité s'impose pour deux raisons en relation l'une avec l'autre: afin qu'elle-même tienne le coup, et qu'elle soit en mesure de jouer son rôle auprès des accouchées et des familles en deuil. Ainsi elle ne laissera pas dans la solitude et l'angoisse ceux qu'elle a mission d'aider.