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page239 - stratégies des sages-femmes italiennes pour l'an 2000

p.239-Stratégie des sages-femmes italiennes pour l'an 2000-Valéria Barchiési-sage-femme-Italie

Je suis sage-femme et j'ai travaillé dans des hôpitaux publics ainsi que dansdes institutions privées; je pratique aussi des accouchements à domicile entant que sagefemme indépendante. 

 

Je peux vous dire que, bien que la position de la sage-femme soit en déclin dans la plupart des pays européens et que nous fassions toutes partie d'une «espèce en voie de disparition », la position des sages- femmes italiennes est l'une des plus défavorables qui soient. Pourquoi? Probablement parce que l'Italie est un pays relativement défavorisé au point de vue économique, et que le contexte culturel de notre pays est une des causes des difficultés rencontrées dans l'organisation et l'amélioration de bien des choses. De plus, l'Italie est un pays constitué de deux zones. Une frontière invisible mais très nette existe entre le Nord et le Sud, traduisant d'importantes différences économiques, sociales et culturelles entre ces deux régions. Plus nous allons vers le Nord, plus l'Italie ressemble à et fonctionne comme la plupart des pays modernes et efficaces du nord de l'Europe. Si l'on se dirige vers le Sud, la tendance devient progressivement celle des sociétés méditerranéennes, pauvres et même presque féodales.

 

. Qu'est-ce que cela signifie pour les sages-femmes? 

 

Cela Signifie que la communication est peu efficace et très dispersée. 

 

Cela signifie que coordonner nos efforts d'unification afin de promouvoir la profession de sage-femme constitue le plus souvent une tâche insurmontable.

 

 Cela signifie que nous sommes plus vulnérables vis-à-vis des stratégies visant à créer des dissensions entre nous et à décourager nos efforts de perfectionnement. 

 

Cela signifie que, si nous créons une identité commune pour nous-mêmes, nous sommes parfois nos propres ennemis.

 

Heureusement, les Italiens sont rebelles de nature.L'inefficacité endémique de nos institutions nous a également conduits à être autosuffisants, à devenir créatifs, à improviser nos propres solutions.

Donc, contre toute attente, les sages-femmes italiennes font, depuis peu, preuve d'une activité intense. Un désir de changement est né. 

Notre espoir de revitalisation de notre profession en Italie se situe principalement dans les mouvements populaires qui ont surgi et qui commencent à exiger la reconnaissance de notre rôle. Mais, si nous examinons les choses objectivement, il y a peu d'espoir d'améliorer notre sort et de perfectionner les soins que nous prodiguons tant que nous ne nous unissons pas et que nous n'exigeons pas des normes et des conditions partout identiques.

Cela m'amène au point essentiel: une sage-femme est une sage-femme. Être sage-femme en Espagne devra signifier, à l'avenir, la même chose qu'être sage-femme en France et dans le monde entier. Le seul moyen de faire reconnaître à sa juste valeur la profession de sage-femme, est d'insister sur l'unification des normes européennes concernant notre formation, notre pratique, nos responsabilités, etc.

 

Cela signifie que nous devons élaborer des politiques et des stratégies communes. Dans un premier temps, il nous faut comparer les différentes situations. Je commenceraI donc par vous donner une brève description du statut de la sage-femme en Italie et vous expliquer ensuite ce que les  sages-femmes italiennes essayent de faire pour améliorer leur position.

 

A l'origine, la future sage-femme devait suivre un cours, d'accès direct, d'une durée de trois ans. Toutes les sages-femmes plus âgées ont suivi cette formation. Aucune d'entre elles n'était infirmière. Depuis 1958, l'accès aux écoles de sages-femmes est limité aux infirmières diplômées ayant suivi une formation de trois ans. Un autre accès possible existe par le biais de l'école de médecine, après avoir acquis un diplôme de trois ans ou équivalent! Cette alternative fut proposée dans le but de recycler quelques-uns des milliers d'étudiants en médecine destinés àchanger d'orientation ou à se trouver parmi les sansemploi. Jusqu'à récemment, il n'y avait pas de sélection à l'entrée. Les sages-femmes étaient soit des infirmières spécialisées, soit des étudiantes en médecine ayant échoué au cours de leurs études. Je pense que la même situation existe dans d'autres pays européens.

 

La grande rivalité qui existe entre les sages-femmes et les médecins est due en partie à la mauvaise formation que ces derniers ont reçue. Le succès dans une école de médecine est fondé sur un système de pouvoir semi-féodal plutôt que sur le mérite de chacun. L'enseignement est souvent de piètre qualité et le nombre trop élevé d'étudiants ne leur permet pas de recevoir une formation valable ni d'acquérir une pratique suffisante. Trop nombreux et trop peu formés, les médecins luttent pour trouver un emploi et doivent trop souvent se diriger vers des domaines couverts par d'autres professionnels de la santé. La sage-femme et l'obstétricien devraient appartenir à des catégories professionnelles indépendantes ayant des responsabilités dans des domaines différents, mais capable de coopérer dans des cas d'intérêt mutuel. Un obstétricien devrait être quelqu'un ayant une excellente formation et une longue expérience, trop qualifié et préoccupé par des cas importants pour gaspiller son temps à concurrencer les sages-femmes et à traiter des patientes en parfaite santé. Son statut devrait être obtenu après une sélection sévère. Dans notre pays, les universités produisent chaque année, généralement, plus d'obstétriciens  que de sages-femmes. Résultat, il y a chez nous un médecin pour deux cent douze personnes. Une sélection est souhaitable. Il faudrait aussi que les écoles de sages-femmes soient plus sélectives afin de maintenir une formation plus élevée. Cela est probablement le premier et le principal objectif auquel nous devons réfléchir. Il faut que nous ayons toutes la même formation. Tous les pays de la Communauté européenne doivent adopter les mêmes normes d'accès à la formation. Les mères et les bébés sont les mêmes dans le monde entier et le besoin de soins est identique. Une sage-femme est une sage-femme.

 

Nous devons définir aujourd'hui notre politique concernant la formation que nous devons recevoir. Il n'existe aucun enseignement destiné à former des sages-femmes indépendantes. Les cours sont presque toujours donnés par des médecins, très peu sont confiés à des sages-femmes expérimentées. Les médecins essayeront invariablement de former de futures assistantes pour eux, et d'enseigner les soins d'un point de vue médical pathologique. Il faut remarquer aussi que la jalousie et un manque de motivation font que, trop souvent, les sages-femmes plus âgées refusent de partager leurs connaissances avec les étudiantes durant leur formation pratique. Les jeunes sages-femmes sortent de l'école avec l'impression de devoir encore tout apprendre pour devenir une sage-femme indépendante. Et elle ne savent pas à qui s'adresser pour acquérir cette formation. Il n'existe pas de cours de recyclage obligatoire pour les sages-femmes en Italie. Si nous désirons suivre un cycle de formation continue, nous devons en supporter les frais et empiéter sur notre temps personnel ou renoncer à nos vacances. Certains collèges provinciaux de sages-femmes, situés dans le Nord bien évidemment, organisent depuis quelques années des cours de recyclage pour les membres de la profession. Mais les sages-femmes du sud de l'Italie devront bien souvent faire des centaines de kilomètres et prendre en charge leurs propres frais si elles souhaitent parfaire leur formation. 

 

Ces conditions nous placent probablement à un niveau de formation inférieur à celui des autres pays européens. Nous devons également définir une politique commune en ce qui concerne les cours de recyclage.

 

Une sage-femme, comme dirait notre collègue néerlandaise Béatrice Maldus, n'est pas une infirmière et ne devrait pas être un médecin qui a échoué. Ses motivations ne peuvent être ni celles d'une infirmière ni celles d'un médecin. Sa formation et ses qualifications doivent correspondre à celles d'une sage-femme. Actuellement, deux années d'études secondaires suffisent pour avoir accès aux études d'infirmières. Nous jugeons cela insuffisant pour le niveau de culture générale souhaité pour une sage-femme. Nous espérons pour l'Italie qu'une nouvelle loi sera approuvée, qui unifierait les conditions d'accès aux écoles de sages-femmes ainsi que les programmes de formation. L'accès direct aux écoles serait autorisé après cinq années d'enseignement secondaire, ce qui correspond au baccalauréat ou à un diplôme de niveau A. La durée des études serait de trois ans. D'autres cours de formation seraient proposés à celles qui désirent se spécialiser. Mais pour vous donner une idée de nos chances réelles, le projet de loi a été soumis il y a environ huit ans! Et, à l'heure actuelle, ce projet n'a qu'un soutien parlementaire limité, il n'est toujours pas mis à l'ordre du jour afin d'être discuté et voté.

A l'opposé, notre actuel ministre de la Santé a déclaré à maintes reprises qu'il désirait que la profession de sagefemme soit reconnue comme une profession à part entière, distincte de celle d'infirmière. Il n'existe pas d'association de sages-femmes qui défende la profession alors que celle des médecins est très influente.

 

Le nouveau plan national de santé pour l'Italie a été approuvé tout récemment. Personne n'a pensé à mentionner la sage-femme comme faisant partie des professionnels de la santé exerçant dans le pays. Nous avons également un nouveau contrat national pour les travailleurs de la santé, signé l'année dernière par les syndicats professionnels et le ministre de la Santé. Cet accord a, cette fois, mentionné la sage-femme. Mais elle jouit du même statut qu'une infirmière, bien qu'elle ait nécessairement une formation plus approfondie, sans gagner un sou de plus. Elle doit également faire des actes normalement réservés aux infirmières quand cela s'avère nécessaire.

 

Pour vous donner une idée de notre faiblesse: les infirmières ont également introduit un projet de loi visant à augmenter les normes de sélection à l'entrée de leurs écoles et à exiger des programmes de formation continue. Elles sont plus nombreuses et disposent d'un soutien politique plus important. Elles ont de meilleures chances de voir leurs réformes approuvées avant les nôtres.

Qu'est-ce que cela signifie? Que bientôt les infirmières seront mieux formées, mieux qualifiées que les sagesfemmes.

Cela démontre que nous n'avons pas les moyens de nous en sortir seules. Nous avons besoin de réglementations internationales et du soutien direct de nos consreurs étrangères. Si nous voulons que la profession de sage-femme soit mieux structurée, nous devons la redéfinir.

 

Nombreuses sont celles d'entre nous qui ont perdu le sens de leur travail. Caroline Flint a donné ce que je considère comme la meilleure définition de notre tâche: «Les sages-femmes, sont des femmes qui soutiennent d'autres femmes» nous dit-elle. Il n'y a pas de place pour les médecins, pour les hommes ou pour les obstétriciens dans une telle définition. La force et l'indépendance des sages-femmes signifient la force et l'indépendance des femmes. Le sort des sages-femmes et celui des femmes vont de pair. Les sages-femmes ne doivent être dépendantes que des autres sages-femmes et des femmes qu'elles soignent. Aussi longtemps qu'elles dépendront des médecins ou, pire encore, des infirmières, pour leur formation et leur supervision, elles resteront les servantes de la médecine, un simple point de rencontre entre la profession d'infirmière et celle d'obstétricien.

 

Quel est le point de vue actuel du gouvernement de notre pays au sujet des soins prodigués par les sagesfemmes? Notre situation est probablement similaire à celle d'autres pays européens dans lesquels la législation (du moins en théorie) accorde une large autonomie aux sages-femmes. Mais, en pratique, la tradition culturelle, la réalité de tous les jours et surtout la qualité de notre formation ne nous offrent que du travail en tant que subordonnées. Nous avons une loi excellente, votée en 1975, qui nous donne une indépendance presque totale. En pratique, cependant, rares sont celles d'entre nous qui ont suffisamment confiance en leurs capacités professionnelles pour travailler comme indépendantes. C'est aller dangereusement à l'encontre de la tendance politique. Les sagesfemmes qui ont le courage de le faire sont constamment harcelées, menacées et sont victimes d'ostracisme. A Trieste, celles qui pratiquaient des accouchements à domicile ont été obligées d'abandonner leur profession en tant qu'indépendantes.

 

Jusqu'en 1978, l'Italie avait une communauté de sages-femmes dans chaque ville et dans chaque faubourg. Elles étaient payées par la communauté et on leur procurait des locaux de travail ainsi que des logements. Si nécessaire, elles pouvaient coopérer avec le médecin de la communauté. En 1978, le service national de la Santé fut restructuré, supprimant le rôle des sages-femmes dans la communauté. Les subsides pour les services de maternité ne furent prévus que pour les hôpitaux publics ou les cliniques privées. La naissance à domicile ne fut même pas mentionnée. Cela se fait cependant encore en Italie sous le couvert d'une loi plus ancienne qui autorise les sages-femmes à prodiguer des soins à domicile. Mais leur statut actuel, d'un point de vue culturel et en termes de service de santé, a pratiquement disparu. Il existe de même cette tendance au sein du groupe des médecins visant à réformer la loi, pour l'adapter, comme ils disent, aux conditions actuelles en réduisant toute autonomie. Il est particulièrement navrant de constater qu'un article en faveur de cette réforme a été publié dans Lucina, le magazine national de la Fédération des sages-femmes. Qui nous soutiendra si nous ne nous soutenons pas nous-mêmes?

 

En plus d'exercer des pressions afin d'entamer des réformes dans les écoles de sages-femmes, certaines d'entre nous ont donc fondé un syndicat, dans le but de s'entraider. D'autres s'occupent d'obtenir le vote de lois en faveur de services de maternité orientés vers la naissance naturelle, tant au niveau régional que national.

 

 D'autres encore font partie de groupes de pression et s'occupent de promouvoir auprès des professionnels et du public l'idée d'une naissance naturelle. Certaines s'attellent à l'organisation, avec d'autres collègues, d'une formation permanente. Certaines ont décidé de se présenter en vue d'obtenir une place au sein du collège provincial des sages-femmes dans le but d'apporter du sang neuf à une institution parfois vieillotte. D'autres ont décidé d'exercer en tant qu'indépendantes et pratiquent des accouchements à domicile.

 

Jusqu'à maintenant c'est le syndicat des médecins qui a négocié les contrats de travail qui nous considèrent comme des infirmières.

Notre propre syndicat est donc une idée nouvelle. Peut être aurons-nous cette fois davantage de succès si nous négocions nos propres conditions.

 

Les nouvelles lois que nous aimerions instaurer concernent à la fois les administrations régionales responsables des services de santé et le gouvernement national qui impose aux régions des lignes de conduites de base. Les propositions ne sont pas nécessairement formulées par les sages-femmes seules, mais par des groupes mixtes. La plupart des vingt régions d'Italie ont adopté récemment, ou envisagent de le faire, de nouvelles lois octroyant des droits aux mères et aux familles: moins de médicalisation, de nouvelles méthodes et de nouveaux lieux où sont prodigués les soins. 

 

L'un des combats les plus difficiles et qui ne réussit que rarement est de voir ces lois réellement appliquées lorsqu'elles sont votées. Notre pays est célèbre pour avoir d'excellentes lois en théorie et ne jamais les appliquer. La convention financière conclue avec la seule région du Piémont constitue peut-être l'élément bureaucratique le plus révolutionnaire que nous ayons pu obtenir depuis que la restructuration de la Santé nationale de 1978 a réellement rayé les termes « pratiques indépendantes» et « accouchements à domicile» du dictionnaire des soins de santé. Cette convention couvre les honoraires des sages-femmes indépendantes pour les femmes qui donnent naissance à la maison. Mais le mouvement italien pour les naissances à domicile s'intéresse à un point crucial: le réseau national des sages-femmes qui accouchent à domicile.

 

Tout a commencé il y a dix ans avec un petit groupe d'entre elles qui désiraient pratiquer des accouchements à domicile et se sont retrouvées tout à fait isolées. Des groupes se sont formés pour redécouvrir notre identité professionnelle et redéfinir notre rôle. Nous avons dépassé maintenant la phase expérimentale et nous pouvons tirer des conclusions, élaborer des principes et partager de nouvelles connaissances. Un de nos principes de base est que la formation des sages-femmes doit être faite par des sages-femmes.

 

D'autres groupes plus expérimentés, comme «Marsupiu » à Florence, organisent régulièrement des cours de formation pour sages-femmes. Ils ont élaboré un concept de relation à la profession qui tend à redéfinir les soins que nous donnons d'un point de vue personnel et émotionnel plutôt que d'un point de vue clinique.

 

Notre dernier projet en date est la rédaction de notre propre protocole de sélection inspiré par la liste obstétricale néerlandaise. Nous pourrons certainement découvrir l'utilité de cette liste dans les prochaines années.

Je crois que nous devrions toutes accorder notre soutien au retour à la naissance à domicile. Heureusement, les sages-femmes néerlandaises, les études d'organismes internationaux et l'OMS ont pleinement démontré que le programme des accouchements à domicile pouvait remplir plusieurs fonctions. L'accouchement à domicile est à notre origine, correspond à nos racines. Si la profession des sages-femmes pratiquant l'accouchement à la maison n'est pas solide, il n'y a pas d'espoir de développement, nous allons toutes mourir ensemble.



08/02/2013
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