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page213 - être étudiante dans l'Europe des Douze

p.213-Etre étudiante dans l'Europe des douze-J.Schollaert

J. Schollaert sage-femme, Belgique directrice de l'ISN, section sages-femmes membre du Comité consultatif 

 pour la formation des sages-femmes  (Communauté européenne)

 

Pour envisager l'avenir, il nous faut partir du présent, éclairé lui-même par le passé. Il semble bien que les sciences de la vie, y compris l'obstétrique, ont connu dans ce dernier demi-siècle une évolution plus importante qu'au cours des presque deux millénaires qui ont précédé. Vous connaissez l'histoire de l'obstétrique et des sages-femmes jusqu'à ce jour où de grands hommes politiques, prophètes incontestablement, ont décidé de « faire l'Europe ». Vous savez aussi que les  sages-femmes (comme les médecins et les infirmiers) ont fait l'objet de deux directives européennes en 1980, organisant la libre circulation des professionnelles et déterminant les conditions et contenus minimaux de la formation.

 

L'une de ces directives prévoit que la Commission fera rapport, après six ans, sur certaines questions, et qu'elle précisera notamment quel devrait être le niveau d'études requis pour  accéder à la formation de sage-femme en filière directe (minimum trois ans), et quelle devrait être la durée de cette formation pour les titulaires d'un diplôme d'infIrmière responsable en soins généraux.

 

Pour rédiger ce rapport, la Commission européenne a demandé le concours du Comité consultatif pour les sages-femmes. C'est ainsi qu'un groupe de travail de ce Comité a été amené à faire une analyse approfondie de la situation actuelle tant en ce qui concerne la formation que par rapport à la pratique professionnelle existant dans les différents États membres. J'ai participé à ce groupe. Qu'avonsnous trouvé?

 

D'abord une très grande diversité au niveau de la formation, généralement en rapport d'ailleurs avec la pratique de la profession telle qu'elle est vécue dans l'État membre. Par exemple: 

- Différence dans les conditions d'accès aux études: - parfois le niveau bac est exigé; - parfois dix ou onze années d'études primaires et secondaires;

- un numerus clausus, et donc une sélection, existe dans certains pays et non dans d'autres.

-  Différence dans le statut des étudiants qui sont: - tantôt étudiants à part entière; - tantôt sous contrat de travail.

- Différence dans les niveaux, les filières et la durée de la formation:

- ici ce sera une filière universitaire directe de quatre ans;

- là ce sera un enseignement supérieur de trois ans, en filière directe;

- ailleurs encore, il s'agira d'une formation en dix-huit mois ou deux ans,     après une formation d'infirmière.

- Différence, par le fait même, dans les contenus théoriques et les durées de formation pratique d'un État àl'autre.

  - Différence encore dans les pouvoirs de tutelle:

  - Les écoles peuvent ainsi dépendre du ministère chargé des Universités (France), ou du ministère de la Santé (Luxembourg), parfois du ministère de l'Éducation nationale ou encore d'autorités (plus) locales (les Lander en Allemagne).

 

Je pourrais relever aussi des différences d'accent mis au contenu de la formation: je songe à la Grande-Bretagne, avec toute l'importance accordée aux soins prénataux, l'éducation sanitaire et le planning familial, alors qu'au Portugal nous aurons plutôt une infirmière spécialisée en soins de santé maternels et obstétricaux. Devant un tel constat, vous admettrez avec moi que l'espace est grand entre la sérénité de notre bannière étoilée européenne et la réalité quotidiennement vécue.

 

En analysant brièvement l'exercice professionnel tel qu'il est assumé par nos collègues dans les différents É!ats membres, il nous est devenu assez évident que chaque Etat membre assure une formation en rapport avec ses propres concepts socioculturels entourant la naissance et la maternité. C'est ainsi par exemple qu'aux Pays-Bas plus de quatre-vingts pour cent des sages-femmes travaillent dans le privé, assurant beaucoup d'accouchements à domicile, alors qu'en Belgique la majorité des sages-femmes travaillent en maternités publiques ou privées. Et si, en Allemagne, aucun accouchement ne peut se faire sans la présence d'une sage-femme, dans d'autres pays ils sont largement effectués par des médecins obstétriciens.

 

La libre circulation des sages-femmes dans l'Europe des Douze est bien entendu une décision politique. Le groupe de travail ayant fait toute cette analyse est arrivé aux conclusions suivantes: la diversité et la complexité des situations nationales rend impossible toute comparaison intégrale; la confiance réciproque est indispensable par rapport à la libre circulation, sachant qu'indépendamment des aspects culturels et politiques nationaux, toutes les professionnelles ont acquis le savoir-faire de leur profession.

 

Suite à la publication des directives, chaque État membre a fait le nécessaire pour s'y conformer, ou est en train d'y arriver progressivement. Une évolution de la formation se réalise actuellement dans plusieurs États membres.

Plusieurs experts sages-femmes dans le groupe de travail ont fait état des difficultés rencontrées avec les autorités nationales, parfois réticentes aux modifications nécessaires à la formation de sage-femme, afin d'arriver à un niveau de qualité comparable permettant une libre circulation sans réserve des sages-femmes dans l'Europe communautaire.

Le groupe de travail a estimé que le niveau de formation était au moins aussi important que les normes d'admission aux études. Et il a recommandé au Comité consultatif qu'il ne soit plus fait référence à un nombre d'années d'études pour l'accès à la formation, mais qu'il soit exigé, dàns chaque État membre, pour l'admission aux études de sagefemme, la possession d'un diplôme ou autre titre donnant accès à l'enseignement supérieur.

Voilà pour le présent, mais pour demain, quelles sont nos orientations? Quelles sont nos espérances, et de quels investissements sommes-nous preneurs?

Une constante s'impose à moi: en effet, il me semble que la sage-femme, demain, comme hier et comme aujourd'hui, restera la professionnelle qui, à travers l'accompagnement de la future maman, crée cette relation de confiance qui permet les questions, l'expression d'un vécu, avec ses peurs parfois, ses interrogations souvent, ses espérances toujours.

La sage-femme restera la professionnelle compétente qui garantit la mise au monde de l'enfant dans les meilleures conditions possibles. Elle accompagnera encore la femme qui vit ses premières semaines de maman, car il reste que la «mise au monde» d'un enfant recommence chaque matin de sa vie.

Cet aspect-là de la pratique, fait de compétence technique, relationnelle, de capacité d'accompagnement existentiel, constitue donc un premier impératif dans la formation de toute sage-femme.

A côté de cette constante, il me paraît capital que les sages-femmes découvrent plus profondément quel est leur rôle politique, qu'elles s'engagent dans la recherche et parviennent à mettre en évidence la spécificité du service qu'elles peuvent rendre à la population, à la santé collective et à la vie dans ses aspects socio-économiques.

Parmi les analyses à faire, il serait bon de:

- clarifier quelle est, selon les régions, la conception de la naissance: étape d'un processus physiologique ou problème médical?

  - se demander si l'accouchement est vécu essentiellement dans le corps ou avec la tête;

- mettre en évidence quelle est la demande d'une future maman par rapport au choix du lieu et de la méthode de son accouchement;

  - identifier les facteurs constitutifs à ces choix;

  - réaliser de quelles informations socioculturelles et économiques disposent les femmes pour opérer leur choix en connaissance de cause;

  - voir quel serait l'impact économique d'accouchements faits par la sage-femme ou bien faits à domicile.

Ensuite, je pense que la sage-femme doit prendre sa place comme partenaire dans le vaste champ de la bioéthique.

 

En conclusion de tout cela, une conception de la formation se dessine. En tous les cas, dans l'enseignement supé. rieur, partout en Europe, nous devons viser à une formation:

- permettant l'acquisition d'une compétence professionnelle, humaine et technique de grande qualité;

- garantissant un niveau scientifique élevé face au développement prodigieux de la biologie et des techniques qui confèrent à l'homme la possibilité de maîtriser la procréation, sans oublier le pouvoir, combien plus redoutable, de modifier la nature humaine elle-même;

- capable d'intégrer la réflexion bio-éthique indispenable dans. la problématique nouvelle ainsi créée. La sage-femme doit acquérir la capacité de prendre part, au-delà du discours des experts, au débat de valeurs, dans le respect des personnes, dans l'accompagnement délicat et attentif de chacune des situations pouvant se présenter;

- developpant l'aptitude à participer, à mettre en route et evaluer des recherches-actions, indispensables à la profession  obstétricale. Ces recherches orienteront l'avenir de notre profession et détermineront la maîtrise que nous en aurons.

 

En ce qui concerne l'avenir de la profession, de la forma~ tion, de l'Europe de la santé, nous pouvons penser que l'Europe est une chose qui nous a mises au défi de progresser, d'élargir nos conceptions, de changer notre regard sur le monde.

Parfois, cependant, nos discours européens restent encore empreints de nationalisme. Nous restons sur la défensive! Il est impératif de ne pas nous complaire en récriminations mais de faire preuve d'imagination et de courage.

 

Mon souhait serait que, sages-femmes d'Europe, nous osions le pari du partage et du partenariat, chaque région ou pays apportant aux autres le fruit de son expérience. Alors l'Europe se construirait plus rapidement et enrichirait notre mouvement vers plus d'autonomie et de responsabilité.

 

Restons pleinement au service de la vie!



08/02/2013
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