page197 - pourquoi Alimata du Burkina Faso est-elle morte ?
p.197-Pourquoi ALIMATA du Burkina Faso EST-ELLE MORTE ?
Jeannette bessonart, sage-femme, présidente de sages-femmes du monde
le monument de la mère et de l'enfant à Ouagadougou - (Burkina Faso)
Alimata était paysanne du Sahel et mère de cinq enfants, morte en couches, à Ouagadougou (Burkina Faso)
Alimata avait trente-cinq ans, elle en faisait beaucoup plus. Elle était déjà mère de cinq enfants et je l'ai rencontrée, lors de sa mort, à l'hôpital Yalgado de Ouagadougou au Burkina Faso. Elle était l'une des cinq cent mille mères qui meurent en donnant la vie, chaque année, dans le monde. Une mère toutes les minutes! Quatre-vingt-dixneuf pour cent dans le tiers monde, un pour cent dans les pays industrialisés.
C'était une paysanne du Sahel et ses pieds nus étaient brûlés par le sol durci au soleil. Elle est arrivée, sans connaissance, accompagnée de son mari et de sa mère, et elle est morte en trois minutes, dans la salle d'examen, d'une rupture de l'utérus, installée depuis... quelques heures ou quelques jours. Nous l'avons recouverte de son pagne et nous sommes restées là, impuissantes, tristes pendant que la sage-femme annonçait la nouvelle en langue mossi à la mère, qui pleurait doucement, résignée et digne. Je sentais dans le regard et le silence de mes collègues sages-femmes burkinabées, le désespoir de ce qui arrive trop souvent, et que l'on reçoit en pleine figure et en plein creur, le coeur de celles qui sont en première ligne.
Les raisons de la mort de cette mère lors de son accouchement :
des raisons économiques
Les raisons qui entraînent les mères sur ce chemin mortel sont nombreuses et variées. Mais quel chemin a donc suivi Alimata pour arriver à la mort sans trouver d'issues de sauvetage? Tout d'abord, elle vivait dans une société à faible niveau de développement socio~économique, dans un ensemble appelé tiers monde dont on connaît les difficultés. Elle était une pauvre parmi les pauvres, dont la situation pouvait être améliorée par plusieurs stratégies à l'extérieur et à l'intérieur du pays et , l'issue de cette situation pouvait venir de :
- la solidarité entre les différents pays du monde dans une économie de partenariat;
- le paiement des échanges commerciaux à leur juste pnx;
- la remise de la dette extérieure du pays et le soutien à son développement;
- le choix prioritaire de la santé périnatale dans le budget national de la santé;
- des efforts importants dans la scolarisation des fillettes.
Mais Alimata et son peuple n'ont pas eu accès au développement socio-économique de la société burkinabé.
la discrimination en tant que femme
Ensuite, elle était une femme et supportait la discrimination sur la condition féminine encore importante dans beaucoup de pays.
Sa situation de femme pouvait être améliorée par l'instruction, la scolarisation, l'apprentissage d'un métier et le travail rémunéré, mais aussi par un bon équilibre alimentaire et une surveillance de sa santé périnatale par des sages-femmes au niveau des soins de santé primaire, dans ou près de son village. Elle n'eut pas accès à ces améliorations-là.
une sous alimentation chronique, de nombreuses grossesses et une fatigue excessive
Vinrent s'ajouter à cela une sous-alimentation chronique, une anémie endémique et de nombreuses grossesses associées à une fatigue excessive provoquée par les corvées d'eau et de bois, loin de sa maison, pour la préparation de la nourriture ou les travaux aux champs.
Pour sauver la vie des mères en couches : LE PREVENTION PERINATALE
La situation d'Alimata pouvait alors s'améliorer par une pratique de la planification familiale pour espacer les naissances. Cela, ajouté à l'amélioration du développement de la société burkinaké et de sa condition féminine, suggérée plus haut, lui aurait permis de trouver une issue pour échapper à la mort. Mais cette issue lui fut aussi fermée. A ce moment-là, Alimata entrait dans le grou-
pe des femmes enceintes à moyens risques. Son état de santé, le nombre élevé de ses accouchements et son environnement l'entraînaient vers des pathologies pouvant se déclarer en fin de grossesse et pendant l'accouchement, notamment hypertension artérielle, éclampsie, longueur du travail d'accouchement, rupture de l'utérus, hémorragie.
A ce stade, il était encore possible d'agir en prévention par le diagnostic de ces risques, en consultation de soins de santé primaires dans son village, et de mettre en place une stratégie de soins (éducation à la santé, hygiène alimen-
taire, préparation à la naissance), une surveillance prénatale rapprochée et, si nécessaire, l'administration de médicaments essentiels par des sages-femmes diplomées et recyclées.
Grossesse à moyens risques
Mais Alimata, dont le village était trop éloigné et ne possédait pas de dispensaire, ne put bénéficier de cette surveillance prénatale, ce qui aurait pu l'amener à passer sa fin de grossesse près d'un hôpital de secteur dispensant des soins de santé secondaires, tels forceps, césarienne, réanimation néonatale.
Fin de grossesse et accouchement à hauts risques
Quand ses contractions d'enfantement commencèrent, à la suite de sa grossesse à moyens risques Alimata présenta donc un accouchement à hauts risques. Multipare, fatiguée, anémiée, elle arrivait au point critique où les complications menaçaient réellement sa vie et celle de son enfant. Une sur-veillance particulière de son accouchement dans une structure de soins de santé secon-daires (hôpital de secteur) après un transfert adapté à son état et disponible aurait pu mettre encore des chances de son côté. Ne possédant pas d'argent, elle ne pouvait payer le transport nécessaire. Et avait l'espoir était que l'enfant arriverait enfin, sans problèmes.
Alors qu'il tardait à naître et qu'Alimata se fatiguait beaucoup, son mari décida de la transporter au dispensaire de secteur. Il partit chercher dans sa famille l'argent du voyage... Cela dura trois jours, pendant lesquels l'enfant qui se présentait par l'épaule (risque courant chez les grandes multipares) ne put sortir et l'utérus se rompit. Alimata ne survécut pas. Elle arriva trop tard au dispensaire de secteur, puis au centre hospitalier général de la capitale, Ouagadougou, où une césarienne faite à temps l'aurait sauvée.
Ce fut le dernier voyage d'Alimata.
En conclusion, on peut dire que les mères dans le tiers monde peuvent mourir si elles s'engagent dans n'importe quelle situation critique et qu'elles continuent à rester sur ce dangereux chemin.
Mais elles peuvent être sauvées à tous les niveaux par des solutions adéquates, en agissant prioritairement sur les conditions de développement social, d'environnement communautaire au niveau des soins de santé primaires dans les villages.
Elles peuvent être sauvées aussi au niveau secondaire, dans les dispensaires, les hôpitaux de secteur où elles peuvent recevoir des soins de santé secondaires, plus spécifiques (chirurgicaux, réanimation).
Ce qui fait le plus défaut dans les pays du tiers monde, c'est cette structure intermédiaire entre le village et le centre hospitalier général de référence, toujours en petit nombre et situé surtout dans les capitales.
Alimata est morte. Il y a des millions d'Alimata prises dans cet engrenage de la mort. Ces femmes doivent être sauvées. Sauvons-les.
Dans les pays industrialisés, ce fléau existe aussi. On peut même dire qu'il est encore trop élevé ou en augmentation dans certains pays. Les statistiques présentées à la fin de ce chapitre peuvent nous interpeller pour que nous trou-
vions des solutions. Voici deux d'entre elles.
Selon le Dr Peter, « ... seule une politique de déclenchement systématique est susceptible d'améliorer les résultats périnatals... et représente une étape décisive dans les progrès visant à faire accoucher les femmes avec un maxi-
mum de sécurité ... ». (1)
Ce n'est pas l'avis des médecins du Centre médical académique d'Amsterdam: « Nous pensons que c'est, dans la mise en place d'un système de soin obstétrical qui combine un haut degré de professionnalisme des sages-lemmes dès lors que la grossesse et le travail sont normaux, que réside la diminution de la mortalité maternelle périnatale » (2)
En fait, au niveau européen, une étude épidémiologique pourrait être menée pour évaluer les avantages à confier totalement aux sages-
femmes la surveillance de toutes les femmes enceintes, le dépistage des risques obstétricaux en bas, moyens et hauts risques. Elles pourraient alors mettre en place les suivis «rapprochés» et les traitements, ou adresser au médecin selon l'importance des risques. Mais si le suivi médical est un des aspects de la prévention des risques périnataux, il n'empêche qu'il n'est pas le seul élément. Il faut qu'il soit soutenu par une politique de gestion mondiale de périnatalité réellement tournée non seuelment vers l'amélioration des soins obstétricaux avec les sages-femmes mais aussi vers la nécessaire solidarité et la necessaire justice au niveau international.
1. Peter, D., « La programmation de l'accouchement ou le déclenchement systématique du travail.» L'Obstétrique moderne, juillet 1991, p. 447.
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1. Treffers, P.E., Eskes, M., Kleiverda, C., Van Alten, D., «Lettre d'Amsterdam, faible fréquence des interventions médicales dans les naissances à domicile », lama, vol. 16, n° 338, p.666.
STATISTIQUES DES DECES MATERNELS
à venir : statistiques à partir de 1990
LES CAUSES DE LA MORT DES MÈRES EN COUCHES ET LEURS SOLUTIONS
dans les pays en voie de développement
OU LE CHEMIN VERS LA MORT
Note de j.bessonart - 2009 - j'étais près d'Alimata quand elle est morte. Et 19 ans après je pense encore à elle.
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