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quelle formation pour les étudiantes sages-femmes


page225 - quelle formation pour les sages-femmes en Europe ?

p.225-Quelle formation initiale et continue pour les sages-femmes en Europe ?

Paul De Reu sage-femme, Pays-Bas 

 

En étudiant l'histoire de l'humanité, on remarque que beaucoup de choses changent continuellement ou disparaissent après quelques années ou quelques siècles, tandis que d'autres demeurent invariablement. Les

sages-femmes sont un exemple de continuité malgré de nombreuses tentatives pour les faire disparaître.

 

Durant tous ces siècles, les sages-femmes ont toujours eu en commun trois caractéristiques:

- une approche particulièrement humaine;

- une expérience dans la physiologie obstétricale; - une autonomie professionnelle totale.

Avant que l'homme ait fait son entrée dans l'obstétrique, cette expérience était indiscutable - ce n'est pas pour rien qu'on les appelait « sages-femmes» ou « vroedevrouw » : le mot «sagesse» caractérise ces professionnelles.

En Europe, des femmes furent les fondatrices de l'obstétrique physiologique: Aspasie de Milet (ve siècle av. J.-C), Rotula de Ruggiero (Italie), Angélique de Boursier (France) et Justine Dittrichs (Allemagne) pour en citer quelques-unes. C'est avec Louis XIV, qui invitait M. Boucher à faire le suivi de l'accouchement de son amie Mlle de la Vallière, que l'homme s'est définitivement introduit dans l'obstétrique. Je ne me prononcerai pas sur le fait que cette introduction  a été une bénédiction pour l'humanité !!

 

Fait certain, à partir de ce moment-là, l'obstétrique fut vue comme une science, donc une affaire d'hommes, et la femme, la «sage-femme », fut plus ou moins remise à la seconde place, n'étant pas autorisée à faire des études. L'homme ne s'occupait pas seulement de la profession, mais aussi de son enseignement, incluant la formation de la sage-femme. Était-ce un virage important dans l'histoire de la sage-femme? Je pense que oui. Puisque les médecins s'occupaient de la formation des sages-femmes, ils décidaient évidemment du contenu de cette formation, un contenu qui, en premier lieu, était orienté sur les besoins des professionnels qui enseignaient à leurs subordonnées, axés aussi sur les besoins locaux et régionaux. C'étaient eux qui décidaient de ce que les sages-femmes devaient et pouvaient savoir et de ce qu'elles pouvaient faire dans leur profession.

 

Dans certains pays, cette politique a eu pour résultat une dégradation de la profession des sages-femmes qui étaient devenues des infirmières spécialisées ou, pire encore, étaient complètement remplacées par des infirmières.

Malgré la domination masculine dans la médicalisation, les sages-femmes ont su conserver l'essence qui caractérise ce métier. Enfanter reste encore, pour la plus grande partie des personnes, une affaire de femmes et, après quatre siècles, on doit constater que les hommes n'ont pas du tout amélioré le processus de la reproduction (contrairement aux autres disciplines de la médecine). La science a créé beaucoup de possibilités: 

l'amélioration du diagnostic comme l'échographie et le monitoring; 

l'amélioration aussi dans les thérapies comme la FlV et l'anesthésie. 

 

Mais on doit constater que c'est uniquement dans les pays industrialisés, où les sages-femmes sont en majorité, et où elles travaillent avec une grande autonomie, que les taux d'interventions obstétricales sont les plus bas du monde, sans que cela change d'une façon significative les taux de mortalité et morbidité périnatale.

 Beaucoup de médecins obstétriciens sont convaincus maintenant que l'existence des sage~femmes est un élément indispensable en périnatale. Et,  après plus de quatre siècles, ce sont de nouveau les sages-femmes qui vont reprendre la barre: nous voilà à la veiIIe d'un développement très important pour la formation de la sage-femme de la Communauté européenne.

 

Les Etats membres de la Communauté se sont mis d'accord, il y a déjà une dizaine d'années, sur l'égalité des diplômes des sages-femmes en Europe. Mais la pratique semble poser plus de problèmes que prévu: il est, en effet, assez compliqué de créer une professionneIIe qui doit être capable d'exercer un métier universel dans douze pays différents avec douze législations différentes (en ce qui concerne ce métier).

Analysons d'abord sur quels points nous, sages-femmes, et les ministres des Douze se sont déjà mis d'accord: le Journal officiel des Communautés européennes du Il février 1980 nous montre, page L/33/11, en annexe, le « Programme de formation des sages-femmes» - un programme simple et assez complet. Cette simplicité permet diverses interprétations. Par exemple: les notions fondamentales de bactériologie, virologie et parasitologie n'ont pas à être approfondies de la même manière que les notions fondamentales de biophysique, biochimie et radiologie.

 

Quoi qu'il en soit, concernant la formation, les Douze se sont mis d'accord sur un total de trente-cinq points. En plus, nous les sages-femmes de la Communauté, nous pouvons  -  à mon avis - nous mettre d'accord sur trois autres points essentiels sans que cela exige une discussion sans fin:

- Toute sage-femme doit être dans la possibilité d'exercer son métier conformément à la définition internationale de la sage-femme reconnue par l'ICM depuis 1972 et par la FIGO depuis 1973 :« Une sage-femme est une personne qui a suivi un programme de formation de sage-femme reconnu dans son pays,~ a réussi avec succès les études afférentes et a acquis  les qualIfIcations nécessaires pour être reconnue ou licenciée en tant que sage-femme. Elle doit être en mesure de donner la supervision nécessaire, les soins et les conseils à la femme enceinte, en travail et en période de postpartum, d'aider lors d'accouchements sous sa propre responsabilité et de prodiguer des soins aux nouveau-nés et aux nourrissons. Ces soins incluent des mesures préventives, le dépistage des conditions anormales chez la mère et l'enfant, le recours à l'assistance médicale en cas de besoin et l'exécution de certaines mesures d'urgence en l'absence du médecin.

« Elle joue un rôle important en éducation sanitaire, non seulement pour les femmes, mais pour la famille et la communauté. Son travail doit inclure l'éducation prénatale et la préparation au rôle de parents et doit s'étendre dans certaines sphères de la gynécologie, de la planification familiale et des soins à donner à l'enfant.

« Elle peut pratiquer en milieu hospitalier, en clinique, à domicile ou à tout autre endroit. »

- Toute sage-femme doit savoir exercer entièrement son métier à partir du moment où elle est enregistrée, donc où elle obtient son diplôme.

- Toute sage-femme doit savoir exercer toutes les activités formulées à l'article 

n° 4 des directives 80j155jEEG et elle doit avoir les conditions nécessaires pour le faire.

Je suppose que, parmi les sages-femmes, personne ne va s'opposer à ces trois points importants. L'essentiel commence quand il s'agit de voir de quelle façon et surtout avec quel but la formation se présente. Les caractéristiques qui composent l'essence de la sage-femme se traduisent en 1991 comme suit:

- son approche particulièrement humaine, maintenant plus que jamais!

- son expérience dans la physiologie: la sage-femme est une spécialiste dans l'obstétrique physiologique. Elle est - dans la médecine - la seule et unique experte dans cette discipline, une discipline qui fut méconnue bien trop longtemps;

- son autonomie professionnelle totale: elle fait la sélection entre maternité physiologique et pathologie; elle s'occupe de la maternité physiologique elle-même, et transfère les cas pathologiques, après consultation et concertation, au médecin gynécologue et obstétricien, considérécomme seul spécialiste de la pathologie obstétricale.

 

Ces caractéristiques prouvent déjà suffisamment que la sage-femme n'est ni un médecin (elle ne s'occupe pas de la pathologie), ni une infirmière (elle ne travaille pas sous les ordres d'un médecin). Seulement, contrairement aux médecins, dentistes et pharmaciens, et contrairement à notre objectif européen, les compétences des sages-femmes ne sont pas les mêmes dans tous les pays de la Communauté européenne, et donc les formations non plus.

 

Autre obstacle majeur, les principes sur lesquels la formation est fondée ne sont pas les mêmes dans les douze pays de la Communauté.

Pourtant le but essentiel de cette éducation est de transformer des étudiants en sages-femmes qui doivent travailler de façon autonome et sous leur propre responsabilité. Traduit en termes d'objectifs de formation, cela nous donne l'acquisition de dix-sept aptitudes et compétences:

La sage-femme doit avoir l'attitude correcte en ce qui concerne sa profession; ce qui veut dire qu'elle doit adhérer aux trois caractéristiques de cette profession énoncées cidessus, et les respecter.

Elle doit avoir une connaissance approfondie des aptitudes, de la compréhension et de l'expérience en ce qui concerne la sélection de risques obstétricaux, l'évaluation physiologique de la grossesse, l'accouchement et les suites de couches, et savoir faire le suivi de ces processus.

Elle doit savoir faire l'anamnèse (1) 1. Étude des antécédents généraux médicaux, chirurgicaux, obstétricaux de la mère au niveau physique et psychique.et l'examen médical lui permettant de déceler, au bon moment, l'importance, les dimensions et la nature des facteurs de risque, pour y réagir de la façon la plus efficace.

Elle doit posséder une connaissance et des aptitudes pour pouvoir corriger des déviations pathologiques pendant la grossesse, l'accouchement et les suites de couches, ou du moins proposer (et exécuter) une conduite.

Elle doit avoir suffisamment de connaissance de la pathologie et de la symptomatologie pour pouvoir discuter et négocier, dans un rapport égalitaire, avec les autres disciplines.

Elle doit avoir conscience du fait que sa politique doit prévenir des interventions médicales et techniques inutiles, et/ou la médicalisation pendant la grossesse, l'accouchement et les suites de couches, et les maladies ou anomalies chez les nouveau-nés.

Elle doit être capable d'établir une relation de confiance avec la femme enceinte. 

Elle doit être capable d'assimiler et d'intégrer dans sa conduite obstétricale tous les nouveaux développements qui sont importants pour cette spécialité.

Elle doit savoir se familiariser avec l'attitude correcte qui caractérise la sage-femme.

Elle doit disposer d'une connaissance et d'une aptitude pour pouvoir donner des informations qui concernent le processus de la reproduction et ses complications.

Elle doit avoir une connaissance et une compétence des facteurs sociobiologiques, psychiques, philosophiques et familiaux ainsi que des problèmes au niveau du travail, dans la mesure où ces problèmes sont intriqués à l'évolution obstétricale de la grossesse.

Elle doit se tenir à jour dans l'organisation des soins de santé publique qui influencent les soins de santé maternelle et infantile.

Elle doit être capable de diriger une pratique libérale et indépendante, quels que soient le lieu ou le contexte de pratique.

Elle doit être capable de coopérer avec les autres disciplines sur le terrain de la périnatologie.

Elle doit avoir conscience de l'histoire de la profession des sages-femmes, ainsi que de l'évolution et de la place de la sage-femme dans la médecine de nos jours.

 

Elle doit être capable de négocier et de se concerter avec ses collègues et avec les autres disciplines dans la périnatologie.

Elle doit viser comme but la protection et l'amélioration de la santé de la (future) mère et de son enfant("santé" dans le sens de bien-être physique, psychique et social).

Il est évident qu'une formation qui mène à ces compétences implique une formation générale de douze ans (niveau de scolarité) et une formation professionnelle d'au moins quatre ans comprenant au moins mille cinq cents heures de cours théoriques et trois mille heures de stages.

Mais, ce qui est aussi important, et peut-être même plus important que la durée de la formation, c'est de savoir qui dirige cette formation. Si on se met d'accord pour créer une sage-femme pour la Communauté européenne, cette sage-femme doit être formée sur la base des critères sur lesquels nous, sages-femmes de la Communauté européenne, nous nous sommes mises d'accord, et non sur la base d'une infirmière spécialisée, étant conçue pour être une aide d'une partie du corps médical.

La formation des sages-femmes doit être dirigée par une sage-femme, le directeur d'une école de sages-femmes doit être une sage-femme, ce qui implique que nous devons aussi installer un corps de cadres de sages-femmes européennes destiné à remplir ces fonctions. Un certain nombre de pays de la Communauté connaissent déjà des écoles de cadres; il va falloir se concerter pour établir un corps de cadres européen de sages-femmes.

 

Il est venu le temps de l'urgence pour les sages-femmes de la Communauté européenne. L'évolution de l'Europe nous permet maintenant de changer le cours de l'histoire, de rétablir ce que Louis XIV nous a enlevé: le principe de la formation pour les sages-femmes par des sages-femmes. C'est maintenant ou jamais le moment d'affirmer l'autonomie de la sage-femme en Europe.

 


08/02/2013
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